Interview de Thomas Giubbi - La Compagnie Rhodanienne

DECEMBRE 2015


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Créée par et pour des vignerons gardois comme centre de mise en bouteilles en 1963, la Compagnie Rhodanienne a changé de nature avec l’arrivée au capital du groupe Taillan et la nomination d’un nouveau directeur général, Thomas Giubbi. Qui en a fait un acteur reconnu du négoce de la vallée du Rhône.

A Castillon-du-Gard, à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau du fameux aqueduc romain, la Compagnie Rhodanienne affiche sa bonne santé : de vastes locaux qui abritent les chaînes d’embouteillages, la cuverie pour l’élevage des vins, les bureaux pour les employés… Tout  est nickel ! Mais il n’en a pas été toujours ainsi…

Créée par et pour des vignerons gardois (majoritairement des caves coopératives) en 1963, la Compagnie Rhodanienne n’a été pendant longtemps qu’un centre de conditionnement, même après l’entrée au capital en 1969 du groupe Taillan. Le métier de négociant n’est vraiment apparu qu’au milieu des années 1990 quand le groupe est devenu majoritaire. Comme dans de nombreuses autres structures, on était à cette époque-là plus axé sur une logique de volumes et de chiffre d’affaire : un schéma économique qui n’a pas fonctionné. D’où le recrutement en 2011 d’un nouveau directeur général, Thomas Giubbi, qui s’est donc retrouvé dans une entreprise malade qui perdait beaucoup d’argent. Des pertes chroniques et régulières.

« L’idée était donc de repositionner cette entreprise, de la rendre viable déjà structurellement et de la repositionner sur des marchés cœur de gamme. En sachant que lorsque je suis arrivé, nous avions des problématiques d’image dévalorisée, avec au niveau social du chômage partiel, un risque de mise en sauvegarde de l’entreprise et des relations avec nos fournisseurs amont un peu difficiles ».

Dans ce contexte pas très évident, il a fallu tailler dans la masse : la Compagnie Rhodanienne, qui employait dans les années 2000 quelque 90 salariés et produisait 25 millions de bouteilles, est aujourd’hui redimensionnée. Avec ses 40 collaborateurs et ses 10 millions de bouteilles et bag in box, elle a retrouvé l’équilibre.

2012 l’année du repositionnement

 « Globalement, nous avons tout repris de A à Z : les profils produits et l’ensemble de l’offre, précise Thomas Giubbi. Nous avons conservé des marques, relooké certaines, créé d’autres, l’idée étant de s’affirmer comme un spécialiste de la vallée du Rhône. Et des vins de cépages, en particulier sur la partie export ».

Le site de Sète, qui gérait du vrac, est devenu indépendant (c’est aujourd’hui une nouvelle entité, « Grand Sud Vins », plus orientée vers le bassin languedocien) ; et les marchés qui étaient moins rentables ont été stoppés. « En 2012, nous avons arrêté la production de deux millions de bouteilles de manière assez radicale car c’étaient des lignes où l’on perdait de l’argent ». L’organisation du travail a elle aussi été modifiée avec l’idée constante d’améliorer la qualité du produit. « « Notre approche marché a été revue, sur l’amont avec nos fournisseurs, sur l’aval auprès de nos clients ». Parallèlement, un site web a été mis en place ainsi qu’une vidéo institutionnelle et des vidéos vigneronnes réalisées avec les domaines et châteaux partenaires.

« Avec l’appui du groupe Taillan, nous avons repositionné l’entreprise sur cette idée d’être une winerie engagée qui s’appuie sur les segments cœur de gamme et premium. Pour répondre à la fois aux demandes du mass market  (la grande distribution qui est le cœur du marketing historique de l’entreprise) et présenter une offre terroir plus poussée ».

Ce redressement financier et le repositionnement au niveau commercial et marketing ont été menés de front. Avec des effets qui se font déjà sentir. Depuis 2013 en effet, la Compagnie Rhodanienne affiche des résultats positifs, avec une amélioration continue de tous les indicateurs économiques. En 2014 : + 23 % de croissance en chiffre d’affaire ; 2015 devrait présenter un + 15 % et Thomas Giubbi table sur du + 10 % pour 2016 : « Nous sommes vraiment repartis sur une dynamique intéressante ». Ce qui a permis de mettre en place l’année dernière des primes d’intéressement pour les collaborateurs. « Une grande fierté pour une entreprise qui était malade et où il y avait beaucoup de frustrations ».

Un négoce engagé

Thomas Giubbi revendique fièrement le triple engagement de la Compagnie Rhodanienne. Au niveau de la filière d’abord : le directeur général de la filiale du groupe Taillan cumule les casquettes : trésorier de l’UMVR (Union des maisons de vin de la vallée du Rhône) ; administrateur d’Inter Rhône et de l’Anivin (Association Nationale Interprofessionnelle des Vins de France) ; co-président de deux  appellations gardoises : Tavel et Lirac…

Engagement aussi au niveau des domaines et châteaux partenaires : « Nous en avons une vingtaine – dont certains depuis plus de 20 ans -  exclusivement en vallée du Rhône, qui sont suivis tout au long de l’année. Notre approche, c’est d’avoir sur chaque appellation que l’on commercialise un vigneron partenaire, ce qui nous permet d’être impliqués sur la vie de l’appellation et sur la défense de sa valorisation ». Et pour mettre en avant ce travail en amont et rendre plus lisible ces partenariats, l’opérateur a revu l’habillage de certaines de ses bouteilles et créé un label maison « Vignobles de la Compagnie Rhodanienne – Négociant Eleveur ». Aux côtés des incontournables Châteauneuf-du-Pape, Rasteau, Gigondas… la compagnie Rhodanienne continue à élargir son panel. « On a rentré depuis 2011 un domaine sur Vacqueyras, un autre sur Plan de Dieu, deux côtes-du-rhône, un domaine en Costières de Nîmes, et là on travaille sur des projets en Ventoux et Beaumes-de-Venise. Nous avons aussi un domaine en Tavel et un en Lirac, car il ne faut pas oublier que nous sommes gardois ».

Enfin, toujours au niveau engagement, l’aspect environnemental, que ce soit auprès des vignerons partenaires ou au siège de l’entreprise pour ce qui concerne la gestion des déchets, celle des effluents, le recyclage du verre, des cartons, des papiers…

Sans oublier la maitrise de l’impact carbone : une démarche engagée il y a trois ans et qui se concrétise en ce mois de janvier 2016 par le lancement d’une nouvelle bouteille armoriée. Produite sur le site du verrier O.I. de Labégude, au cœur de l’Ardèche qui est au top des normes environnementales. Cette bouteille allégée, qui regroupe dans son blason les clefs de Saint-Pierre, le Pont du Gard, la croix du Languedoc et la jarre romaine sans oublier la mention « La Compagnie Rhodanienne depuis 1963 » ne pèsera que 460 grammes (contre 600 grammes pour les « lourdes »)

« Notre politique, c’est d’être entre tradition, avec nos domaines et châteaux plus axés terroir, et modernité avec nos vins de cépages ». Des vins de cépages dont la palette s’est enrichie ces dernières années avec le lancement des gammes « Mobiles » et « Le Petit Cochonnet ». En progression sur ces deux segments, la Compagnie Rhodanienne, qui réalise les 2/3 de son chiffre d’affaire en France, principalement auprès de la grande distribution qui constitue son marché historique, n’entend pas en rester là. Sur le marché national, l’entreprise se met en place pour toucher la CHR ; à l’export, elle entend booster ses ventes pour les faire passer à 50% du CA en s’appuyant plus encore sur les relais que lui offre le groupe Taillan avec ses bureaux à Dallas, Tokyo, Shanghai et Bangkok… USA, Japon, Chine : autant de marchés qui sont déjà en forte croissance.

Jean Calabrese

Un cursus original

Rien ne semblait prédestiner Thomas Giubbi, directeur général de la Compagnie Rhodanienne, à faire carrière dans le monde du vin. Avec son BTS tourisme en poche, c’est vers l’humanitaire qu’il s’est tourné d’abord, en œuvrant au sein de l’association «Les  Enfants du Soleil » à Madagascar. « Une expérience extraordinaire » dit-il, prématurément interrompue pour cause de guerre civile. Rentré plus tôt que prévu en France, et devenu jeune papa à 22 ans, il a bien fallu qu’il s’occupe alors de sa petite famille. Fort de ses racines italiennes, c’est dans le secteur de l’agro-alimentaire qu’il a décroché son premier job à Paris : pâtes fraîches et produits biologiques... une expérience de commercial de terrain pendant deux ans.  Avant d’être débauché par les vignerons de la cave de Beaumes-de-Venise qui voulaient avoir un relais sur Paris. C’est Alain Ignace, le Président de l’époque, qui l’avait recruté en 2004 et il restera avec Balma Vénitia pendant près de 8 années. D’abord comme commercial CHR, pour la grande distribution ensuite et enfin comme « compte clé » sur Paris et le nord de la France, la Belgique et le Luxembourg.

« J’ai eu la chance de travailler avec une très belle cave coopérative, reconnaît-il, qui non seulement m’a permis de découvrir l’univers du vin auquel je ne connaissais pratiquement rien mais aussi de suivre un cursus de formation ». Thomas Giubbi a donc pu reprendre ses études tout en continuant à travailler pour décrocher au final un master en commerce international des vins et spiritueux. Après ses années en autodidacte, il a pu ainsi valider son expérience et passer à une dimension supérieure.

Pour sortir durablement de la crise

Estimant que la barrière qui existait autrefois entre négociants et producteurs n’existe pratiquement plus aujourd’hui, Thomas Giubbi, au regard de la difficile décennie que vient de vivre la vallée du Rhône, fait un constat : « Pour s’en sortir durablement, il faut mettre en place un pilotage conjoint entre la production et les maisons de négoce. Dans le respect du dialogue et de la prise en compte des problèmes spécifiques aux deux familles.

« Cette logique qui est parfois défendue par certains producteurs, qui consiste à limiter l’offre pour faire monter les prix, m’agace particulièrement. Elle pourrait devenir contreproductive car, au final, on se déconnecte des marchés, des attentes des consommateurs, des besoins des professionnels et on perd des parts de marchés. Quand on n’a plus suffisamment de volumes pour nourrir ces marchés, ils se tournent vers une autre appellation  ou un autre pays producteur. »

Fiche signalétique

La Compagnie Rhodanienne est entrée dans le giron du groupe Taillan (famille Merlaut) en 1969. Ce groupe, qui se situe dans le Top 10 des négociants hexagonaux, est par ailleurs propriétaire – entre autres – de la maison Joseph Verdier dans la vallée de la Loire (1965) et de la maison Ginestet à Bordeaux (1978) sans oublier plusieurs châteaux.

Président : Denis Merlaut ; directeur général : Thomas Giubbi

CA 2014 en K€ : 20 163

Marques commerciales : Jean Berteau ; les Combelles ; les Mobiles ; les Granges des Papes